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Parapente
1 janvier 2007

Les choses inavouables ... Suite & fin

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La voile subit des effets de roulis mais mon variomètre m’indique que je rentre dans du + 3 m/s que je « centre » (je me positionne au cœur de la masse d’air ascendante) et qui passe à + 5 m/s. Je grimpe ainsi à 2500 m et me faisant un peu trop remuer sans savoir vraiment ou se déplace le thermique, et me laisse dériver vers l’est. Je reviens sur mes pas en direction du décollage, mais rien n’y fait.

 

 

 

C’est dommage, j’avais Barco en vue et j’aurais pu tenter une transition. Bref, je me retrouve vers 2200 m alors que 3 autres parapentes me rejoignent mais entre 200 et 500 m en dessous.

 

Je peine à regagner 100 m de plus et me maintiens à cette altitude, je zérote comme on dit dans le jargon aéronautique, c’est à dire que je navigue en conservant la même altitude, généralement en tournant (on parle de vol en palier dans le monde de l’ Ulm). Ça me permet d’observer les autres pour savoir s’ils ont repéré des thermiques ou des opportunités à saisir. Ce n’est pas vraiment le cas malgré quelques poussées éparses mais hachées par le vent et qui reviennent apparemment de manière cyclique.

 

 

 

Cela va faire 1 heure que je vole et je me dis que j’ai par trop trainé. Je prévois de revenir sur la zone turbulente qui m’a auparavant réussi, d’y rester juste le temps nécessaire pour avoir un gain m’autorisant le passage en plaine avec une bonne marge de manœuvre et après, transition aisée sur 500 m de crête et 4 km de plaine jusqu’à Barco.

 

 

 

Une pensée me titille l’esprit et me met en garde. Je n’en tiens pas compte mais me dit qu’il ne faudra pas trainer dans cette espace assez retord, que je pense furtivement contourner. Mais, baste ! J’ai de l’altitude et le temps est à l’action. Je ne croyais pas si bien dire…

 

 

 

Dés mes premiers mètres, ça chahute sévère, beaucoup de roulis et un peu de tangage, je pare avec les manœuvres appropriées mais dés que la situation se rétablit, l’effet pendulaire aidant, je garde difficilement le cap et me retrouve à nouveau en pleine bérézina : Les sketchs (incidents de vol) se suivent comme les perles d’un collier. Pourtant, me dis-je, je ne suis pas sous le vent & le relief est loin.

 

 

 

Dés que j’arrive à revenir en situation normale de vol, je me fais brasser aussitôt par l’air turbulent ;J’essaie de me mettre en vitesse, bras hauts, pour rester sur ma trajectoire, mais je dois freiner aussitôt en tirant sur les commandes pour éviter une fermeture d’un bout de voile du parapente. Cependant, je manque de vivacité et de vigilance. Je vole avec l’esprit détaché, un peu trop en retrait -la preuve- quandles incidents ont débuté, je me suis dis « tiens, des sketchs », d’une manière nonchalante voire négligente, comme si cela était normal, voir même comme si je n’étais pas concerné, tel un simple spectateur. Néanmoins, la peur commence à apparaître dans mon esprit et m’incite à resserrer la ceinture ventrale, malheureusement au-delà du raisonnable… (une ventrale trop serrée limite les actions de contre à la selette)

 

 

 

C’est alors que mon aile effectue subitement une violente plongée en piquée et je me retrouve le corps face au sol. Je réagis trop tard et freine trop vivement. Je plonge et par le phénomène debalancier amplifié par mon action, mon aile qui s’est retrouvée de l'horizontale à la verticale en un éclair, bascule derrière moi et décroche (quitte le domaine de vol & s’effondre). Je passe soudain en chute libre et dégringole plusieurs dizaines de mètres, la voile toute chiffonnée. Je remonte les bras et j’attends fébrilement de revoler.

 

Enfin, une extrémité se regonfle et je subis une formidable ressource (ascendance soudaine & brutale s'exerçant sur une partie tres limitée de la voile) qui fait remonter brusquement la partie droite de ma sellette. Je me raccroche au harnais et évite de tomber du coté gauche. Je regrette aussitôt d’avoir pris du lest qui accentue la vivacité de l’aéronef car il engage une violente vrille à plat que je n’arrive pas à contrer (neutraliser), ni aux commandes ni à la sellette. Je parviens cependant à ralentir la vrille mais l’aile twist à nouveau 3 fois brusquement. J’essaie de reprendre un cap mais ce n’est pas possible car je suis toujours dans une masse d’air turbulente et les commandes sont désormais bloquées.

 

Je donne un coup de hanche et j’arrive à « dé-twister » un tour, je retrouve un peu de marge aux commandes.

 

C’est alors que ma voile virevolte soudain et la vrille accélère. Mon corps n’a que très peu bougé mais l’aile a réalisé 3 tours instantanément alors que la sellette n’a pas bougé. Ça y est, j’ai l’impression de descendre en phase parachutale, les commandes impossibles à débloquer car je dois avoir twisté au moins 7 fois et tout le haut du parapente est vrillé à un tel point que les 2 oreilles (bouts d’ailes) sont à la verticale. La voile a pris la forme d’un U et il n'y a plus que 2 m² de surface au vent ! Je lève les bras très hauts et tente de récupérer une commande mais rien n'y fait. Je tente de détwister mais toutes les suspentes sont enroulées & vrillées si fortement qu'elles forment une vrai corde aussi dure que celles utilisées dans les ports, qui me serre les jambes sur la selette et finis en s'enroulant avec les oreilles du parapente.  Une violente rafale projette le parapente vers le bas.

 

 

 

C’est alors que je me mets à tournoyer à une vitesse exponentielle. Je suis pris dans une sorte de violente vrille engagée avec une toute petite aile très tendue qui me centrifuge abominablement. en vérité, le peu de voile du parapente et moi formons une hélice, chacun à son extremité, qui plonge à vive allure vers le sol. Je suis collé à ma sellette et ça tourne à l’enfer :Aile ingouvernable, tournoiement effroyable. Je me force à respirer fortement car j’ai peur de m’évanouir tellement la vitesse est élevée. Malgré une expérience d’acrobaties engagées, notamment sous un cunimb, j'ai rarement été confronté à autant de G.

 

Mon variomètre, qui indique d’une manière visuelle & sonore (par bip) la variation d’altitude,hurle d’un son strident et continu mais je ne l’entends plus. Je vois virevolter le ciel et la terre constamment.

 

 

 

Je pense alors à mon parachute de secours. C’est vrai, j’en ai un, jamais utilisé en 600 vols. Et je me dis que ce cas de figure nécessite vraiment son ouverture. Je saisis la poignée, l’arrache de son attache et tire. Je n’ai jamais réalisé cette procédure et j’ai beau tirer, rien ne vient !J’y mets de la force et la poignée me glisse de la main et disparait de ma vue. J’essaie de la rattraper mais elle est introuvable car elle doit virevolter du fait de la vrille et de la vitesse. Je n’ose me pencher pour la voir. De plus, j’hésite car j’imagine avec frayeur le secours s’enrouler et étouffer le peu de voile qu’il me reste.

 

D’un coup j’entrevois furtivement le relief à 70 mètres de moi.

 

Je m’enfonce le plus possible dans la sellette et me recroqueville sur moi en tentant de protéger mes bras.

 

Je bande mes muscles, ferme les yeux (pour les protéger) et compte : « 1, … 2, …  » et je percute brutalement le relief dans un bruit sourd. J’ai l’impression que mon cerveau veut quitter la boite craniène. C’est comme si je rentrais tête la première dans un camion qui roule à vive allure. Je roule boule sur le sol en cercle, me transformant momentanément en tondeuse inhabituelle, et Je reste immobile quelques secondes, abasourdi et sonné mais conscient.

 

 

 

J’ouvre les yeux, je ne sens plus rien et j’ai l’impression d’être un peu sourd. Je me détache de la sellette, couchée sur le coté. Je me relève et marche en titubant quelques pas. La voile n’a apparemment rien. Je suis content et en même temps, j’ai du mal à réaliser ce qui m’est arrivé. Je lève les yeux au ciel.

 

Sur les 3 parapentes qui naviguaient dans ce secteur et qui m’ont vu, 2 se précipitent en plaine pour aller se poser. Nul doute que ma dégringolade sur 600 mètres les a salement refroidis. Le dernier, tout en manœuvrant dans des conditions turbulentes, se rapproche et me survole. Il me fait signe. Je lui indique que tout est ok. Il me dépasse, perd quelques dizaines de mètres, revient à ma verticale car il doute de mon état de santé. Il me demande avec force si ça va. Je lui crie que c’est bon et lève le pouce en l’air. Il fait un tour 50 mètres au-dessus de moi et se décide à partir en plaine vers Barco.

 

 

 

Je suis content, comme l’esprit baigné dans une douce euphorie. Je n’ai rien de cassé, pas de sang visible et la voile repose paisiblement sur des petits massifs verts sans épines, ressemblant à des grosses touffes d’estragon.

 

Mon variomètre est intact, ce qui m’étonne car je pense avoir impacté à plus de 80 km/heure.

 

C’est alors que j’enjambe un taillis pour rejoindre la voile, dont je me suis détaché, et voilà que je manque de trébucher lourdement. En effet, je me rends compte que je boite et que je commence à sentir des douleurs dans tout le corps qui se met à trembler. Je m’aperçois que j’ai bien morflé : je suis tombé latéralement sur la partie gauche, et tout mon corps a été sauvagement secoué, voir traumatisé par l’accident.

 

 

Je m’arrête et je réalise une introspection :Le plat du pied gauche est très douloureux, les articulations, les muscles et les tendons du bras gauche me font serrer les dents ainsi que la fesse gauche et le bas de la colonne vertébrale. Je me tâte les cotes et les vertèbres. Ça va. La tête idem. Mais j’ai du mal à tourner la tête. Les muscles me font mal, surtout 3 qui sont restés crispés sous l’emprise d’une tétanie impitoyable : le droit longeant la clavicule et qui a retenu la tête au moment du choc, le dorsal gauche au niveau de l’omoplate et un au milieu du mollet gauche.

 

Je n’ai plus de force ni aucune sensibilité de l’épaule aux doigts de la main gauche et je ne peux rien porter sur cette partie corporelle.

 

 

 

Bref, il est 15 h 15, je suis à 1658 mètres d’altitude et je sens que je pourrais marcher mais avec la chaleur, 20 kg de matériel et mes blessures, ce ne sera pas aisé. Je décide de me reposer, j’allume une cigarette et je réfléchis.

 

 

 

Comme il s’avère presque impossible de redescendre directement et qu’il n’y a pas de village proche en vu sur ce versant, je décide de remonter vers une pente herbeuse jaune sur un plan moins incliné, 300 m plus haut. Je m’organise, prends la voile en boule et me fraie difficilement un chemin jusqu’à mon objectif. Je manque plusieurs fois de tomber car les nombreux chachis masquent le sol irrégulier. De plus, je suis tellement faible que je dois d’abord prendre la voile, puis la monter sur 100 m et ensuite, faire de même avec la sellette.

 

Parvenu enfin sur cette pente, je décide de tenter un décollage de fortune :mon idée est de décoller rapidement, quitter le relief et la zone aérologique malsaine et tracer tout droit pour me poser prés de la nationale afin de me faire soigner au plus vite. L’affaire n’est pas évidente : le vent est de travers, orienté en nord est, et qui plus est, tumultueux voir tortueux. Au sol, il est quasiment imperceptible, certainement du à l’effet de gradient (effet de sol). Je tente une levée et un gonflage. Inutile, l’aile s’élève paresseusement et retombe en vrac. Il va falloir décoller en pleine rafale et en force si je veux réussir. Je me prépare, me rends compte que les mouvements du bras gauche seront imprécis et douloureux. Néanmoins, dés que je sens un peu de vent, je m’élance et mets tout mon poids sur l’avant, ce qui me permet de décoller. Les 3 premières secondes, je garde le cap et je me dis que c’est gagné… c’était sans compter sur les tribulations d’ Eole. Une soudaine et vive rafale m’embarque et incline l’aile presque à la verticale, je freine mais je pige rapidement que je vais me retrouver prés du relief et bientôt sous le vent, donc en atmosphère vraiment inhospitalière qui peut aisément me faire à nouveau percuter la planète. Je me mets en vitesse maximale et utilise l’effet pendulaire pour m’écraser sur le coté, en freinant 3 mètres avant l’impact.

 

Pour une fois, je tombe comme prévu et sans aggraver mes blessures. Ce coup-ci, j’ai compris. Je plie mon aéronef car je ne pense plus me remettre en l’air, sauf si je rencontre une opportunité vraiment viable.

 

 

 

Je me dis : je suis proche des 1700 m et le plateau qui me surplombe est à 1900 m. Je peux l’atteindre et ensuite je n’aurai plus qu’à le longer pour rejoindre le décollage officiel, ou il y aura certainement quelqu'un pour me redescendre. Il n’est pas encore 16 heure, il me reste plus de 2 litres d’eau et je sens que tant que mes muscles sont chauds, je ne sentirai pas trop la douleur. Je bois un coup, l’eau est presque tiède, et je mange une barre de céréales.

 

 

 

Je me lance donc dans l’ascension de la partie nord-ouest du massif. Le premier problème est que je suis en terrain sauvage, il y a bien quelques parties de chemin mais rien de bien praticable et je dois souvent repousser des plantes pour pouvoir avancer, ce qui me fatigue, me ralenti voir me griffe les jambes du fait d’épineux dissimulés ça et là. J’aperçois des taureaux regroupés sur un champ en bordure du plateau. Je m’en rapproche péniblement et je m’arrête à 100 mètres d’eux quand je réalise que leur champ n’est pas clôturé. Bon sang de bonsoir, elle est bien bonne celle-là ! Je m’évertue à contourner toute cette zone et en douceur pour ne pas les exciter, ce qui rallonge mon parcours.

 

 

 

Je distingue des blocs de rochers sur la gauche et je m’y dirige dans le but d’avoir un meilleur aperçu de la vallée.

 

Je me hisse en haut de l’un des plus proéminents, j’admire un planeur qui évolue autour des 3000 m, pense furtivementlui envoyer un signe de détresse sans être vraiment motivé pour agir, puis je réalise que le prochain village est à plusieurs heures de marche et que le plateau non seulement est encore loin mais qu’en plus il me sera très dur de rejoindre Puerto de Peña negra. De plus, si j’y arrive tard, il n’y aura plus personne.

 

 

 

Je peste contre moi-même : mais qu’est ce qui m’a pris de laisser mon portable à Caro… pour faciliter le retour au campement et éviter de se retrouver au sol au moment le plus chaud de la journée. Tu parles ! Je suis en plein dedans et mes réserves d’eau s’amenuisent à vue d’œil. Et pourquoi je n’ai pas remplacé ma vieille radio inutilisable… parce que je n’en avais pas vraiment besoin. Baste ! je suis trop nul !

 

 

 

Je fais le bilan : je ne peux toujours rien porter sur l’épaule gauche mais la droite peut compenser et peut supporter seule les 20 kg du parapente. Je boite mais l’articulation du pied gauche a l’air de tenir et ma jambe droite arrive à compenser et supporter le transfert de poids. Ah! Louées soient mes jambes car elles ne m’ont jamais lâché. Je me dis que c’est fini les conneries pour la journée et que maintenant il faut s’engager sur un parcours fiable et définitif, et si possible sans avoir à se le frayer à la machette car je n’en ai pas et que c’est de toutes manières usant à la longue. Fini de jouer au cow-boy dans les hauteurs sauvages espagnoles, on rejoint la civilisation par le plus court chemin. Point positif :j’arrive bien à me situer géographiquement et depuis le début, pas une seule fois je ne me suis senti perdu. Point négatif :  j’aperçois en contrebas beaucoup d’espaces infranchissables qui vont m’obliger à les contourner latéralement. Point positif : j’en suis sur désormais, je n’ai ni os cassé ni hémorragie interne. Point négatif : il ne me reste plus qu’1,5 litre d’eau, mon épaule gauche a bien gonflé et je garde toujours 3 muscles contractés – voir même tétanisés.

 

 

 

Dés lors la descente est inéluctable. Je marche latéralement à la pente sur 600 mètres puis je descends à la verticale, de plus en plus freiné par de hauts buissons qui finissent par me stopper. Je dois alors jouer à l’acrobate et me rouler dessus, passer dessous en me faisant griffer par des ronces fines mais hargneuses… je finis par tenter de « nager » dedans tellement j’en ai marre. Par 2 fois je manque de me rétamer en beauté. Aussi, je m’arrête, je bois et je souffle un peu. Ménage-toi me dis-je, tu n’es pas pressé ! Mais il est 17 h 40 et je pense aux copains.

 

Sans nouvelles, ils doivent commencer à se poser des questions. Bah ! Qu’importe ! Ils me connaissent bien et savent qu’il m’arrive de disparaitre plusieurs heures et chaque fois, je leur montre que j’arrive à m’en sortir seul, même quand j’ai un accident. Ils savent bien que j’ai un caractère de solitaire. De plus, dés que j’aurai atteint un téléphone, tout ceci ne sera plus qu’une vieille histoire qui, plus tard nous fera sourire et viendra confirmer une fois de plus mon statut de casse-cou… ça va faire rire sur le compte de jbx (prononcer djibix), mon surnom et va redorer mon titre :Roi du bix !

 

Alors je me dis que j’ai encore « bixé » (d’après la formule de cette vieille canaille de Spat) et je me remémore avec le sourire la définition du Bix :C’est l’art, parce qu’ attention, c’est tout un art ! Donc c’est l’art de se mettre dans une situation qui devient rapidement incontrôlable ! …Voir périlleuse.

 

 

 

C’est vraiment tout à fait moi ça ! Un besoin intense d’être dans l’action, de se mesurer avec moi-même ou avec les éléments et de vivre des sensations fortes. Je repense à mes derniers échanges avec moi même : qu’est ce qui anime un comportement aussi autodestructeur ? Une volonté inconsciente et suicidaire ? Pourtant j’apprécie la vie même si je déteste la monotonie et l’ennui… je suis traversé par des pensées flottantes… baste ! Il faut que je me réveille et que je sorte de cette douce torpeur qui m’enveloppe. Serait-ce la chaleur ? Le stress ou la fatigue ?

 

 

 

Je reprends le sac et la sellette sur l’épaule droite. Ce faisant, je plie le bras gauche. Ah ! Certains muscles ont refroidi et la douleur est encore plus vive. Je prends un bout de suspente (corde de parapente), que j’utilise en général pour attacher mon portable à la sellette, et je me fais une sorte de brassard pour bloquer mon bras gauche contre ma poitrine et éviter ainsi des mouvements par trop douloureux. Je redescends d’une centaine de mètres et j’arrive à une pente moins inclinée.

 

 

 

J’aperçois un petit muret qui entoure un grand champ. Je sens une présence. Je tourne la tête. Il y a un taureau très noir qui broute à 12 m de moi et qui me regarde, immobile. Il a l’air assommé par la chaleur, mais je préfère ne pas tenir compte des apparences et réalise très lentement un grand détour pour le contourner. Mais quelle idée de lâcher en pleine nature et sans clôtures de tels monstres !

 

 

 

J’arrive enfin au muret que j’escalade après avoir jeter mon matériel par-dessus. Je vois au loin un cavalier. Je hurle et je fais des grands signes de la main. Je sors mon sifflet, outil qui normalement fait parti de mon matériel de free-ride mais que je transfert dans celui de vol libre pour les urgences et les vols interdits dans les nuages, ce qui fait marrer les potes du club du Baïgura. Je siffle 3 fois. Rien n’y fait. Il ne me voit pas. J’oriente ma route vers lui, d’autant plus que je pressensun village en contrebas.

 

 

 

Mince ! Il y a encore des taureaux dans les parages. Je fais une pause, bois un coup et observe : il y en a 2 à 100 m sur ma route, et peut être plus bas, caché par des buissons touffus qui masquent la pente. Je tente un contournement prudent par la droite. J’aperçois un autre muret que je rejoins et longe, me disant qu’en cas de mauvaise rencontre, je pourrai rapidement basculer derrière. Mais il remonte la pente. Je le franchis pour rejoindre le champ ou se trouvait le cavalier. Ce dernier a disparut. Je traverse le champ et suis bloqué par un muret surmonté de barbelés. Je suis obligé de le contourner par la gauche et trouve un passage praticable, non sans peine.

 

 

 

Je reviens sur la droite et suis les traces de passage d’un troupeau qui décrit un arc de cercle autour d’un petit massif rocheux. Je contourne ce dernier en réalisant un écart pour avoir un plus grand angle de vue. Bien m’en prend, il a 2 taureaux qui broutent au pied droit du massif. Je suis bloqué car à 10 m sur leur droite, il y a une foret très dense qui masque une petite rivière très encaissée. Prendre une autre voie constituerait une perte de temps et un détour importants. Je bois et me rends compte qu’il ne me reste plus qu’un verre ou deux d’eau. Je décide de tout faire pour passer. Je m’approche lentement. A 20 m, les 2 bêtes relèvent la tête. Je suis rassuré, ce sont 2 vaches.

 

Néanmoins je reste prudent. J’ai gardé le souvenir des courses de vachettes de la place St André lors des fêtes de Bayonne et je sais qu’elles peuvent charger et faire du dégât. Je m’approche à 10 m. elles ne s’affolent pas et ont l’air paisible. Je fais « yep ! yep ! yep ! » pour les inciter à se déplacer plus loin, mais, tu parles, elles s’en foutent comme du dernier gadget à la mode dans les boutiques de la place Vendôme. Je prends mon matériel sur l’avant bras droit afin de pouvoir l’éjecter instantanément en cas d’urgence et je m’approche doucement en frappant dans mes mains. A 5 m, elles réagissent enfin et vont brouter nonchalamment 20 m plus haut.

 

 

 

J’escalade une partie du rocher et suis un chemin de chèvres qui accompagne la rivière encaissée. J’arrive à un petit vallon qui se rétrécit en bas sur ma droite. Je m’y engage et finis par traverser la rivière. Une pause pour se rafraîchir. Le cours est au plus bas et l’eau a un goût végétal.

 

 

 

Je vois un troupeau de vache à 50 m. je vais jusqu’à un muret que je franchis et j’évite un secteur marécageux à proximité de la rivière. Je ne me souviens que trop bien de mon plus beau vol espagnol qui s’était achevé par le survol magique à 2500 m d’un cirque accolé à la Sierra de Gredos, suivi d’un retour épique via des marécages ou je m’étais enlisé jusqu'au genou.

 

Pas de ça aujourd’hui, je ne peux pas me le permettre. Au bout du terrain, 2 ânes. Je tente de les amadouer par une attitude amicale et en tendant la main. L’un d’eux se rapproche et se laisse caresser les naseaux.

 

 

 

Je continu jusqu’à une clôture que je contourne à gauche. Un cul de sac ! je reviens sur mes pas et j’observe. je sens de l’humidité. il doit y avoir de l’eau non loin. Je regarde en contrebas. Un large lit de rivière à sec. Tiens, une « maison de berger » apparemment abandonnée à 500m. un chapeau de paille qui se déplace à 300 m ! un homme dessous ! j’appelle. il ne m’entend pas. il faut dire qu’il est loin et caché par quelques arbres, puis s’engage sur un chemin couleur ocre et disparaît. Je vois le haut d’un village à 500 m de l’éphémère apparition humaine.J’escalade la clôture, descends un éboulis de pierre et parcours le large lit sec de la rivière jusqu’à l’endroit ou a disparut l’homme. personne et 2 chemins boueux s’offrent à moi, sur lesquels coule une fine rivière. Je regarde les traces au sol :l’homme a pris à droite, je m’y engage et saute sur les cotés comme un cabri boiteux pour éviter la flotte. Mais le petit lit serpente et remonte la pente vers le nord-est.

 

 

 

Je redescends et prends l’autre lit. Mais un cheval un peu fougueux est en travers et me regarde avec curiosité. Il a les pieds avant entravés par une chaine. Je ne vais pas tergiverser. Je m’approche, tape du pied au sol pour bien lui signifier ma présence et je lui parle: «  oooh ! oh, la ! tout doux. Lala, lala, laaa ! ». je m’avance de 3 m il ne bouge pas. Je recule et je le regarde droit dans les yeux. Je lui montre par mon attitude que je n’ai pas peur de lui et que je désire traverser. Je frappe dans mes mainstout en me rapprochant lentement de lui. Il se tourne et s’avance vers moi en peinant et en gardant ses distances. Je fais semblant d’accentuer le pas. Il se déplace alors dans le sens de la longueur et je longe le bord droit du lit, passe à 3 m de lui et arrive sur un passage boueux. Je le franchis avec dextérité et j’arrive à la première ferme. Allez, le village est tout proche. Autant y aller directement pour téléphoner.

 

 

 

J’arrive à une route bitumée. Enfin, la civilisation ! ma montre indique 19 h 45, j’ai soif et je n’ai plus d’eau.

 

Je remonte cette route sur 200 m et j’entre dans le village. Je me sens observé. Les enfants qui jouent sur une terrasse, des villageois à travers des persiennes, un couple de paysans qui bifurque plus loin. Au centre, je croise un homme qui sort d’une maison. Je lui demande ou je peux trouver un téléphone. Il m’indique avec désinvolture la présence d’une sorte d’office public ou se trouve l’appareil convoité à 10 m de là et s’éclipse.

 

Je m’y rends. Bien sur, j’ai beau frapper, tout est fermé. Je croise un homme plus âgé qui s’approche d’une voiture et je lui demande soit un téléphone soit la possibilité de me descendre dans la vallée. L’homme me dit qu’il ne part pas et je ne comprends pas bien ce qu’il me dit sur le téléphone mais je vois bien à son attitude que ce n’est pas son problème. Baste ! pas très accueillant dans le coin.

 

 

 

Je marche pour découvrir le village mais il est tout petit, sans commerces et une seule route descend. Les villageois ne se montrent pas malgré leurs coups d’œil furtifs que je devine à travers les rideaux et persiennes. J’ai l’impression que je pourrai mourir la gueule ouverte que personne ne lèverait le petit doigt. Cette indifférence me révolte. Je reprends la route et stoppe à une petite fontaine peu féconde. Un homme est 7 m plus bas et bien que m’ayant aperçu, ne me jette pas un regard et continu machinalement à nettoyer une sorte de bouche d’évacuation de l’eau de la fontaine. Je me désaltère.

 

Bah ! l’eau est saumâtre et a un goût ferreux prononcé. Je regarde à nouveau l’homme et je décide de redescendre par mes moyens. Je ne suis pas inquiet, plutôt en colère contre cette indifférence. De toute façon, ma route est toute tracée et fini le tout terrain et l’orientation au jugé. Je remplie ma gourde. L’eau est bien sale et beaucoup d’impuretés constellent son volume. Je souhaite ne pas avoir besoin d’en boire. Enfin, c’est toujours de l’eau et je remémore l’une des plus grandes soifs de ma vie lors de la montée des gorges arides d’ Aradena en Crète. Je repars sans m’adresser à l’homme. Je n’ai plus rien à attendre de ces gens-là. Si j’ai pu marcher plus de 6 heures, c’est que mes blessures ne sont pas si graves et je ne désire plus demander d’aide et ne compter que sur moi. Néanmoins, un peu plus loin, je rencontre un couple qui sort d’une ferme et s’apprête à monter dans une voiture. Je les aborde et me dis « allez, on tente une dernière chance ». Hélas, la ferme n’a pas de téléphone et ils ne sont pas volontaires pour me descendre en voiture. Je décide de décerner le prix de l’inhospitalité, médaille d’or à cette contrée que je veux désormais quitter à tous prix. Ça y’est, je suis vexé et je continu mon chemin.

 

 

 

Je gagne du temps en coupant les colimaçons de la route, ce qui m’oblige parfois à marcher d’une façon mal assurée sur des éboulis de pierre. A un tournant, je croise des vieux assis qui m’observent mais je ne stoppe point. J’apprécie après cette marche pénible de me retrouver sur un sol bien lisse à la pente régulière. Quand j’entends un bruit de moteur, je tente de faire de l’auto-stop. 4 voitures descendent en 1 heure mais il doit y avoir écrit « la guigne » ou « pestiféré » dans mon dos ou sur mon front car personne n’a pas la moindre sollicitude pour un homme qui boite et se traîne péniblement sous son fardeau à la tombée de la nuit, en altitude et sur cette route déserte. Et après on dira que ce sont les gens des villes qui sont individualistes et égoïstes !

 

 

 

Je m’arrête pour admirer un coucher de soleil rouge de toute beauté. Avec une vue plongeante sur la vallée, c’est vraiment féerique !

 

Après quelques gorgées de cette eau vraiment infâme, je m’inquiète pour mes potes. Il est 21 h 40. Qu’est ce qu’ils doivent penser ? Jbx, toujours pas au bercail. Perdu ? Accidenté ? Pourvu qu’ils ne lancent pas les secours à ma recherche ! Je regarde la nationale au loin. Ni ambulance ni voiture de police ni véhicule roulant au ralenti.

 

 

 

Allez, il faut marcher d’un bon pas. De toute façon, la fatigue aidant, je ne sens plus mon corps et je suis en nage dans mes vêtements. Je marche ainsi, chantant intérieurement  « 1 km à pied, ça use, ça use, … » quand soudain, je vois 2 ombres basses qui filent à toute vitesse à 200 m dans la foret devant moi et passent presque latéralement à la route. Je ne ralentis pas. Je laisse la nature à ses préoccupations;moi, j’ai les miennes. Tout à coup, j’entends des bruits stridents, comme des petits crisà 60 m de là. Aussitôt, 2 ombres sortent de la foret et foncent sur moi.

 

Je m’arrête. Les ombres n’ont pas ralenti ni changé de cap. Je plisse les yeux et là, je n’en crois pas les informations qu’ils m’apportent : à 40 m, un sanglier course un autre sanglier à une vitesse folle, soit environ 60 km/h. le premier crie comme un porcelet qu’on égorge et dans son affolement, a sans doute cru qu’en fonçant sur le seul autre être vivant dans le secteur, cela pourrait faire diversion et faire lâcher son agresseur. Tu parles !

 

 

 

ils filent tous deux comme des boulets de canon et la cible, c’est moi. Incrédule, je perds du temps. Quand ils sont à 20 m de moi, je jette la sellette par-dessus la glissière de sécurité, court vers celle-ci, l’empoigne des 2 mains et bascule par-dessus tout en me tournant face à la route. Je donne un coup d’épaule qui fait tomber la voile derrière ce parapet trop haut pour stopper ces 2 bolides. Je m’y agrippe fortement, prêt à basculer de l’autre coté, s’ils passent. Je fustige d’un regard haineux les 2 bêtes et dés qu’elles arrivent, je hurle le plus fort et le plus sauvagement possible dans leur direction, après avoir lorgné sur le coté pour repérer un gros caillou à leur lancer au cas ou. Je suis hors de moi, prêt à en découdre à la main s’il le faut. Je sais que ma force, c’est l’agilité. Je suis tellement chaud et surexcité, voir survolté que je ne sens strictement plus rien, aucune douleur. C’est l’instinct de survie qui parle et qui domine. Je me remémore les notions de coups puissants en kung-fu mais je me dis que le mieux est de sauter dans le vide et de me rattraper à un arbre, car s’ils me suivent, vu leur vitesse et leur poids, leur saut de l’ange risque d’être plus percutant que le mien. De plus, je me sens vif et léger sans ces 20 kg qui depuis 15 H m’écrasent l’épaule. Apparemment, ils ne pensaient pas à cette réaction. Et à 5 m, alors que je hurle comme un démon sous coke, les 2 sangliers tournent vivement en dérapant et toujours l’un derrière l’autre, s’enfuient dans un bosquet proche.

 

Je reste 10 secondes à scruter l’autre bord de la route, alors que la pénombre s’installe. Bien sur, pas un lampadaire sur cette route ! Je saute prestement sur le bitume. J’attends et j’écoute. Aucun bruit sauf mon cœur qui tape et fait parcourir mon corps d’une énergie qui me donne du courage. Putain ! Qu’est ce qu’ils m’ont fait peur ! Je reste là 5 minutes, bois un coup – bah ! Toujours aussi dégueulasse, cette eau – et j’allume une cigarette.

 

 

 

C’est pas vrai. J’ai pris du LSD moi, ce matin au p’tit déj’ ? D’abord, cet accident de fou à 80 km/h, le plus grave de ma vie de parapentiste avec une vrille engagée & twistée sur 600 m, soit 2 fois la hauteur de la tour Eiffel, et mon premier « cratère » (écrasement au sol), le secours que je n’arrive pas à lancer, des séquelles que j’aimerai bien connaître, ensuite cette aventure de 6 heures dans la pampa à jouer à cache-cache avec les taureaux et à escalader des parois, des murets, des clôtures et des barrières de toutes sortes. Enfin, ce village d’extra-terrestres ou tout le monde cherche à m’éviter et répond négativement à toutes mes demandes. Et pour finir, ces 2 sangliers ou cochons sauvages qui veulent jouer au bowling avec moi à la tombée de la nuit. Que de suées ! Je vais installer un commerce pour en vendre ! A la pelle, je vous le dis ! Bref, je reprends la route et mon matériel par la même occasion. Au bout de 30 minutes, j’aperçois une bourgade peu éclairée. Je me dis que là, c’est l’urgence.

 

Après ce périple, j’en ai ras le bol. Je me dis que j’ai sans doute eu de la chance d’échapper à la mort, 1 cartouche de dépensée comme on dit chez les voileux, mais depuis, la chance m’a bel et bien quitté.

 

Je m’approche, passe devant une maison, dont une lumière et des bruits qui me parviennent depuis le 1er étage, m’indiquent une présence humaine. Au rdc, je ne distingue rien ni personne. Je décide de poursuivre car je suis dans le noir et je m’imagine mal leur parler d’en bas et dans le noir. Plus loin, c’est pire, quelques lampadaires m’apportent bien de la lumière, mais pour voir que tout est fermé, et je ne distingue aucune sonnette. Je n’entends que des aboiements de chien enroué qui donnent à cette bourgade déserte des airs lugubres.

 

Je reviens sur mes pas et retrouve la première maison.

 

Je me motive : je suis en situation d’urgence ! Pourquoi ? Parce que je suis blessé, fatigué et que j’en ai vraiment raz le bol ! J’ai mal à l’estomac, qui depuis 20 minutes gargouille. C’est sans doute cette flotte qui me fait un cadeau surprise de dernière heure ? Ou peut être la faim ? Et je ne demande pas grand chose : 1 coup de fil ! Mon empire pour un appel ! Je regarde la porte, une sonnette, pas d’indication, et un numéro… le 13 ! Je m’arrête, stupéfais ! Allez, cette fois, c’est pour m’apporter un joker. J’y ai droit, mince ! Je sonne. Le léger brouhaha qui venait de l’étage se dissipe et une femme s’approche de la fenêtre et me demande ce que je veux. J’y vais de ma tirade franco-espagnole mais la femme disparaît pour laisser place à un homme. Je reprends la parole pour évoquer mon accident et lui demande de téléphoner. Un silence s’installe et se meurt sur un claquement sec de « no puedo ! ».Je reste stupéfié devantce manque d’hospitalité, voir d’humanité mais, vexé, je réagis vite : « gracias ! Muchas gracias ! ». Là, c’est décidé, on ne veut plus me voir sur cette montagne, eh bien ! On ne m’y verra plus. On ne veut pas m’apporter d’aide. Çay’est, je n’en ai plus besoin. Monmoral est « regonflé » et je continu la route puis traverse la bourgade peu éclairée.

 

 

 

Alors que j’approche de la dernière ruelle, des chiens aboient et 2 s’avancent vers moi. Je recule, scrute le sol à la recherche d’une arme. Je ne trouve qu’un caillou, que je saisis. Il est de bonne taille et peut être lancé ou s’utiliser comme un marteau. Je m’avance à nouveau vers la ruelle et fustige les 2 chiens d’un regard méchant. Bien leur montrer que je n’ai pas peur, que je suis déterminé et que je compte bien passer. J’ai eu mon lot de détours et de frayeurs. Maintenant, c’est fini.

 

Je continu sur ma lancée, le plus agressif des deux me barre le passage et grogne ;son collègue, plus discipliné fait quelques mètres vers le coté opposé. C’est gagné. Je n’en ai plus qu’un en face. Je m’arrête, tend le bras en l’air pour bien lui montrer mon caillou et le lancer plus aisément si besoin. Je reprends ma marche en le regardant droit dans les yeux sans faillir. Il recule et se met de biais. Je continu et il aboie. Je ne melaisse pas impressionné, et dés qu’il est à 2 m, je lève à nouveau le caillou, prêt à l’abattre sur lui en cas d’attaque. Il recule en aboyant et je passe. Il me suit, excité, sur 10 m puis m’oublie. Je me retrouve à nouveau seul sur la route mais l’air est frais maintenant. J’admire les étoiles. J’observe la nationale et surtout les voitures qui la parcourent mais je ne repère aucune voiture « amie ».

 

 

 

Je redescends en me disant que j’aurai pu laisser le parapente et la sellette planqués dans un coin, me faisant gagner du temps et éviter la fatigue et le surcroît de douleur. Mais bon, c’est mon caractère de me démerder sans aide et de ne rien laisser derrière moi. Et puis j’ai une quasi-affection pour ce matériel qui me permet de voler été comme hiver, à Chamonix comme dans l’Océan indien. C’est un outil magique qui me permet de réaliser mes rêves et qui peut être transporté partout sans inconvénients. C’est ma baguette magique ! Simple, fonctionnel et le moins encombrant et le moins cher des aéronefs, tout en étant le plus souple.

 

 

 

Après un tournant, j’aperçois quelques maisons disparates et silencieuses. Je continu sans m’arrêter. Je sens mon estomac qui se rebelle et qui gargouille à qui mieux mieux. La nuit est noire maintenant. La ballade n’en est que plus agréable car mes yeux se sont habitués à cette obscurité et les lumières au loin brillent comme des étoiles. La route serpente en colimaçons. Je croise alors, sortant comme par enchantement du noir obscur de la nuit à la lumière d'un lampadaire, un père et ses deux filles, déguisées comme pour le carnaval, qui remontent paisiblement et disparaissent bien vite alors que leur vision soudaine et furtive flotte encore dans mes pensées. Serais je sujet à des hallucinations ? Je poursuis cependant car la conscience de l'arrivée proche a ravivé mes dernières forces. Ça y’est, je suis en bas ! Je marche péniblement les derniers 300 m et j’arrive à la nationale. Je serai une petite nature, là vraiment, je crois que j’aurai séché une larme ! Je pose mes affaires et m’affale sur le sac du parapente en essayant de ne pas y poser ni les fesses ni les reins. Je suis vraiment avachi, presque à l’horizontale. Il n’y a pas beaucoup de véhicules. Je tends la main, dépité mais content d’être là. Ah ! Quel plaisir de ne rien faire ! Ah ! La joie de trouver un lit pour dormir ! Et de quoi manger, et boire !

 

C’est dans ces conditions que l’on se rend compte que ce sont les choses les plus simples qui comptent le plus.

 

6 voitures passent, une ralenti mais c’est pour tourner. J’allume une cigarette, que je dissimule quand vient une voiture afin de ne pas effrayer un éventuel bon samaritain. Mais, baste ! Personne ! Je regarde ma montre : 23 heure ! Ça n’a presque plus d’effet sur moi. Je suis si fatigué et plus rien ne m’étonne, comme blasé de nature. J’observe les alentours. Une pancarte vers l’est : « Piédrahita  5 km». C’est bel et bien fini, ma p'tite chérie, mon camping sauvage, mes potes, ma voiture et de quoi manger et boire, surtout boire, à 5 km. Un verre de vin ne sera pas de refus. Bref, de la rigolade, sauf à pied dans la situation ou je trouve. Mais j’ai bon espoir, cette nationale est toujours fréquentée, même de nuit. Depuis mon arrivée, une vieille femme et une autre que je distingue mal, discutent à mi-voix et cachées par un véhicule à 15 m de l’autre coté de la route. Je sens qu’elles m’observent discrètement. Un enfant roule en vélo de l’autre coté. 3 voitures passent à toute allure. Je me relève, détends les jambes et traverse la nationale. Je me dirige aussitôt vers la vieille femme alors que sa comparse de discussion a disparut de ma vue. Je reprends mon speech habituel cependant sans grande conviction. Elle me regarde et dit qu’elle ne peut pas. Je ne réagis même plus, je me dis que la série continue et que c’est normal. Elle rajoute qu’il y a un bar à proximité. Un bar. Un bar ? Mais qu’est ce que c’est ? Un bar ! Mais oui ! Je n’ai rien sur moi, ayant tout laissé avec mon matériel; mais, obnubilé par mon objectif et refusant de croire à la présence du bar si prés, et qui plus est, visible de la route, j’y entre sans détours, me jette sur le seul barman, lui commande un coca et un téléphone, presto ! Ce qu’il fait avec gentillesse. Pourvu que cet appareil soit relié à l’international ! En effet, pour joindre un portable français à l’étranger, il faut l’appeler en France. Ça sonne. Pourvu que Caro décroche à temps. Oui ! « Je suis sur la nationale en direction de Barco, à 5 km de Piédrahita, au croisement avec Santiago del collado, viens vite, tout va bien – je t’expliquerai… » et je me jette sur mon coca. Je vais voir le barman, lui dis que je n’ai pas d’argent mais que « no problemo ! » Tout va s’arranger. Je sors, traverse la nationale, récupère l’argent et les clops et zou! Demi-tour au bar.

 

Je sirote lentement cette eau caramélisée en étant comme sur un nuage. L’aventure est finie. Quel soulagement ! Mais qu’est ce que je vais dire aux copains ? Par ou commencer ? Je paye le barman en lui votant un sourire un peu fatigué et un pourboire non négligeable et je rejoins mes affaires.

 

 

 

 

 

 

 

La suite… dés que j’ai le temps…

 

 

 

 

 

En résumé :

 

 

 

Pierre qui m’engueule : « jb, tu t’es mal démerdé… » jusqu’à ce que je lui dise que j’ai eu un accident

 

Les potes qui ont fait des grillades mais je suis trop fatigué pour avoir vraiment faim et surtout manger

 

Caro qui me fait hurler en me passant de la pommade, me disant « attention ça va piquer… » et moi qui crie « mais ça brûle ton truc !!! »

 

Mon dos et ma jambe gauche qui ont des couleurs jaunes, rouges, bleues et même vertes par endroit

 

Eric (le costaud) qui avec 2 bras et au sol en tirant la poignée n’arrive pas à sortir mon parachute de secours resté bloqué par 2 hameçons rouillés de forme plate et mal positionnés

 

 

 

Les explications sur le comportement défiant des villageois de Santiago del collado : propriétaires des terrains de puerto de Peña negra qui ont voulu interdire physiquement le parapente car ils ne profitaient pas de ses retombées commerciales, contrairement à Piédrahita. L’intervention de la Guardia civil pour arracher les barbelés au décollage et libérer son accès. La décision du juge qui donne raison aux parapentistes signataires du bail

 

Bref la fin de l’aventure… ouf !!!

 

 

 

Quoique, ensuite, c’est…

 

Éric, 2 deltistes et 15 parapentistes espagnols qui se font embarquer par un cunimb (cumulo-nimbus) époustouflant (il aspire même des voiles à 20 m/sol en approche d’atterrissage et certaines situées au fond des combes, un sac plastique à 2 m de moi se retrouve à 3000 m d'altitude en 20 secondes !) et tout se terminera sans mal mais certains assez choquésgarderont « la mort dans les yeux » plusieurs heures.

 

 

 

Puis la 2ème équipe « basque » qui débarque alors que la 1ère rentre au bercail sauf Caro & moi, les cunimbs qui apparaissent en ½ heure dans un ciel auparavant totalement bleu !, moi qui veut revoler dés le surlendemain et les potes qui me menacent de m’attacher à un arbre… avec la bénédiction de Caro.

 

Je me soigne et me retape avec l’aide de Caro et on passe des moments câlins et inoubliables dans les « petites gorges » des rios locaux : véritable balnéothérapie naturelle !

 

 

 

Impossible de voler, donc on part sur le Portugal…

 

C’est la Canicule de 2003 : 40° à Bayonne, 45° à Piédrahita et jusqu’à un thermomètre au Portugal qui reste bloqué sur 56° à l’ombre (confirmé par les journaux : record d’Europe, même à 21h on étouffait, le corps en nage)… les incendies impressionnantes que personne n’arrive à éteindre (et surtout pas les frêles petits hélicos portugais) parfois vues du haut de la plus haute montagne portugaise (1900 m), … je croie me retrouver obligé de faire mon vol suivant par des conditions très limites en tant que fusible (le 1er à décoller), et je ne fais pas le fier… puisque les potes qui nous ont rejoins n’ont toujours pas volé et ont été méchamment refroidi par tout ce que l’on a raconté d’autant qu’on découvre un nouveau site… Je me tâte et quand je décide d'ouvrir la voie des airs, je retourne voir les potes pour les prévenir de mon envol (ils ne sont même pas au décollage, la chaleur est oppressante, l'odeur carbonique et le soleil cinglant) et, tout en maudissant le fait de devoir réaliser un type de vol comme celui-là, juste apres mon cratère (accident en percutant la planète) de Piédrahita (seul évènement qui a failli me faire arreter definitivement le parapente), je croise   ... plus de 100 parapentistes  …des compétiteurs qui vont faire le fusible à ma place, car c’est la compétition portugaise qui s’est déplacé de Linares sur « notre » site portugais du moment à cause des conditions et du feu. On vole finalement mais ça reste engagé… certains survolent le brasier & les compétiteurs la jouent "serrés". L'air est bouillant, traversé par les fumées d'un feu qui se rapproche de la montagne ! Les thermiques sont très secs & étroits; ils "explosent" dans la voile comme des pétards. Je me pose un peu sous le vent & de travers à celui ci, sur le flan d'une colline, entre 2 rangées d’arbres distant de la longueur de ma voile… on bascule vers le site phare du coin (Linares) qu’on atteint après avoir traverser des étendues brûlées… tout est mort… Il y a un silence lugubre qui règne sur cette terre de désolation. Eole nous a laissé tomber… on retourne à Piédrahita ou c’est toujours l’enfer puis on rentre précipitamment à Bayonne pour se rafraîchir car il n’y fait que 40° ...la terre basque craque… du jamais vu !

 

Article "Les choses inavouables" ou les tribulations de jbx

mis en ligne le 29 mai 2008

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